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mercredi 11 mars 2009

Qui était St TELO

Il a vécu au VIème siècle ! Il serait né au tout début des années 500, à Penalun (aujourd’hui Penally), dans le Pembrokeshire (sud-ouest du Pays de Galles). Une autre source précise que ce serait à Eglwys Gunnion (Eglise de Gunnion), près de Tenby, toujours dans le Pembrokeshire, ajoutant que Penalun n’aurait été que la maison de ses ancêtres paternels.
Il n’est pas forcément facile de répondre à la question : « Qui était Telo ?» ! Mais il est toutefois possible, en reprenant légendes et sources historiques identifiées, de se faire une idée de ce qu’ont été la vie et l’action de celui qui a laissé tant de traces, autant d’un côté de la Manche que de l’autre…
Il est donc né dans le sud de l’actuel Pays de Galles (appelé à l’époque la Cambrie, région de l’Ile de Bretagne, ou Grande Bretagne). Son père, Ensig, était roi du Ceredigion, région sur la côte ouest, au milieu du Pays de Galles (Llandysul, aujourd’hui, fait partie du Comté du Ceredigion). Telo était donc le fils de l’un de ces petits rois, incarnant un pouvoir local qui s’était substitué à l’Administration romaine et à son armée, après l’effondrement de l’Empire sur l’Ile.
On se doute bien que, parmi toutes ces royautés, autoproclamées ou choisies par le peuple, on trouvait de tout : le meilleur et le pire ! L’Histoire nous présente Ensig comme un homme bon, soucieux de justice et préoccupé du bonheur de ceux que le destin avait confiés à son pouvoir.
Pour bien prendre toute la mesure de ce que furent les choix de vie de Telo, il faut se représenter la situation de l’époque… La Bretagne (l’Ile) sortait de cinq siècles de domination implacable de la plus grande partie de son territoire et de ses populations, cinq siècles d’exploitation systématique de ses richesses par l’Empire Romain, un Empire Romain que l’on présente trop souvent pour ce qu’il n’a pas été, c'est-à-dire une puissance pacificatrice, civilisatrice, porteuse de progrès, et rarement pour ce qu’il fut réellement : un Etat au service des intérêts de marchands cupides qui n’avaient de cesse de s’accaparer à leur profit les richesses du Monde, un Etat « desservi » par des fonctionnaires civils et militaires mégalomanes, assoiffés de gloire et plus préoccupés de leur sort personnel que du sort collectif.
C’est dès le début de notre ère que l’Ile de Bretagne (La Grande Bretagne) va progressivement tomber sous la coupe de ce système. En 43, l’Empereur Claude y fait débarquer 4 légions (environ 40000 hommes) qui, jusqu’en 47 vont assurer le contrôle du sud de l’Ile. Il fera personnellement le voyage jusque ces nouvelles conquêtes pour revenir à Rome faire célébrer son triomphe et prendre le titre de « Britannicus », « Claudius Britannicus », « Claude le Breton » ! En 60, c’est Néron qui fait interdire la religion druidique et massacrer tous les druides, eux dont l’enseignement se concentrait dans ces quelques mots : « Honore les Dieux ! Fais le bien ! Sois courageux ! » A la place, Rome a imposé son paganisme matérialiste.
Au fil des révoltes et des massacres systématiques qui les suivent, les aspirations des populations à la liberté se sont émoussées. Quand elles n’ont pas été anéanties, les élites dirigeantes se sont ralliées à l’occupant romain, elles se sont latinisées. Ce sont ces gens qui, progressivement ont administré le pays au nom des intérêts romains et selon les lois de Rome, qui ont organisé l’exploitation des terres, des mines d’or et d’étain, et du travail des hommes au profit de Rome. Et ces gens ont, tous ou presque, suivi les légions romaines lorsqu’elles ont quitté l’Ile au Vème siècle pour passer en Gaule défendre sur le Rhin les frontières d’un Empire faiblissant.
En se retirant de l’Ile, l’Empire laisse donc un pays et des populations livrées à elles-mêmes, désemparées, sans cadres ni élites pour les guider, sans valeurs de référence, si ce n’est le triste exemple de l’exploitation de l’homme par l’homme et de l’appât du gain, sans rien à quoi raccrocher la reconstruction d’un avenir… On imagine sans peine l’ampleur du chaos dans un contexte où c’est l’existence même qui est menacée par les incursions des hordes d’envahisseurs : Pictes, puis Scots du Nord de l’Ile (les irréductibles qui ne se sont pas laissés coloniser par les Romains), Angles, Saxons, Jutes, Frisons venus du Nord-Est du Continent et qui débarquaient sur les côtes de l’Est et du Sud.
Le père de Telo était donc l’un des descendants de ces chefs choisis par les populations pour leurs mérites et leurs qualités et autour desquels elles se sont rassemblées pour se défendre, s’organiser, se créer une nouvelle vie sociale et un avenir.
Telo aurait pu suivre sa trace. Il aurait pu assurer la succession de son père dont il partageait certainement les valeurs humanistes et les conceptions dans l’art de régner et de régenter la vie des hommes. Mais son ambition allait bien au-delà de ce seul rôle trop uniquement temporel. Telo savait que le bonheur des hommes et des peuples ne repose pas seulement sur la quiétude de l’existence et l’abondance matérielle. Il savait qu’il repose tout autant, voire davantage sur l’aspiration spirituelle vers un idéal, sur ce que certains appellent l’élan de l’esprit, ou de l’âme, vers le respect et la vénération des valeurs de la vie et de l’univers. Plutôt que d’être roi comme son père, il choisit donc de devenir guide spirituel. Il choisit de contribuer à reconstruire une identité collective, un sentiment d’appartenance à un peuple, sur les valeurs du christianisme des premiers siècles – un christianisme celtique venant revisiter les valeurs et les croyances celtiques anciennes interdites par l’ordre impérial romain.
C’est ainsi que l’on retrouve Telo comme élève, durant sa jeunesse, de Dubric, premier Evêque permanent de Llandaf (aujourd’hui devenu faubourg de Cardiff) et de Caerleon (l’une des premières villes dont on voit le panneau sur la Motorway à l’entrée du Pays de Galles, après avoir passé le pont sur l’estuaire de la Severn), et directeur du collège monacal de Mochros, sur la Wye (rivière du Sud-Est du pays de Galles qui se jette dans l’estuaire de la Severn.
Il fréquente ce collège en compagnie d’autre jeunes gens eux aussi passés à la postérité et dont on mentionne encore aujourd’hui le nom : Madoc, Samson, Paterne (ou Padarn), Dewi (ou David). Samson est le futur archevêque de Dol en (Petite) Bretagne, l’un des sept saints fondateurs de cette (Petite) Bretagne des origines ; en ce qui concerne Paterne (ou Padarn), on se demande si c’est le même que le Paterne qui a fondé l’évêché de Vannes, un autre des sept saints fondateurs de la (petite) Bretagne ; Dewi (ou David), quant à lui, est devenu le Saint Patron du Pays de Galles…
C’est en compagnie de Dewi et Padarn que Telo a entrepris un pèlerinage à Jérusalem pour aller, à la source même, éprouver le bien fondé et conforter les croyances sur lesquelles ils entendaient fonder leur action et à la propagation desquelles ils entendaient consacrer leur existence. On pourrait penser qu’en faisant le choix de Jérusalem plutôt que celui de Rome, pourtant devenu siège de la papauté et capitale de la chrétienté en expansion, ils ne faisaient qu’obéir à un adage qui devait avoir déjà cours à l’époque (« Il vaut mieux avoir affaire à Dieu qu’à ses saints »). Plus sérieusement, on peut penser qu’ils ont agi ainsi par souci d’authenticité. On est aussi en droit de penser que ces bâtisseurs de l’Eglise Catholique dans les deux Bretagnes (la Grande et la Petite), une Eglise qui plus tard sera perçue comme « Celtique » et en décalage par rapport à l’Eglise Catholique Romaine », se défiaient un peu d’une Eglise élaborée dans le creuset d’un Empire décadant, à la recherche des bases d’un souffle nouveau pour assurer la pérennité de son existence. C’est là que les trois pèlerins se firent sacrer évêques par Jean III, Patriarche de Jérusalem,
A leur retour, nous savons qu’il a suivi son ami Dewi (David) à Mynyw (aujourd’hui St David’s, ville du Pembroke, ou Pennfro en Gallois, l’une des cinq villes du Pays de Galles à posséder le statut de Cité) où ils fondèrent une célèbre abbaye.
De la vie quotidienne dans cette abbaye, nous possédons une anecdote qui nous montre un Telo qui ne dédaigne pas de quitter de savantes occupations pour se consacrer aux tâches domestiques les plus humbles. C’est ainsi qu’un jour, il n’hésite pas à interrompre l’étude de l’un des livres de la Bible (« Les lamentations du Prophète Jérémie ») pour aller en urgence chercher du bois dans la forêt voisine pour assurer la préparation du repas du soir des moines. La légende ajoute une dimension à cette anecdote. Elle raconte que, embarrassé par la quantité de bois qu’il fallait ramener au monastère, Telo fut aidé dans cette tâche par deux cerfs ! Et grâce à ces deux braves bêtes, le repas du soir des moines ne fut ni cru ni froid… Plus sérieusement, il convient surtout de noter qu’il s’agit là de la version galloise de l’association de Telo à cet animal totémique, que les cerfs y sont au nombre de deux, contrairement à la version (petite) bretonne qui n’en évoque qu’un seul, et que, comme dans la version (petite) bretonne, il intervient pour une tâche de portage (ici du bois, en Petite Bretagne Telo lui-même)
C’est sans doute à cette période de la vie de Telo qu’il convient de placer l’épisode de Bwya, ou Boia, un pirate irlandais, païen, de l’espèce de ceux qui, de loin en loin, débarquaient sur les côtes de la Cambrie (Pays de Calles) et, véritable cauchemar pour les populations locales, se livraient à quelques pillages avant de se réembarquer pour de nouveaux forfaits à commettre plus loin, à moins qu’ils ne décident de s’installer durablement en un lieu ayant eu l’heur de leur plaire, fondant ainsi, tout au long de la côte, de véritables petites colonies. Entendant parler de la vie de sainteté menée par Telo, Dewi et ses compagnons, il décida, par forfanterie perverse, de les mettre à l’épreuve. Pour les aguicher, les corrompre, les faire tomber dans le péché de la chair, il leur envoya les suivantes de son épouse qui, feignant une frénésie nymphomane, se livrèrent devant les saints hommes à toutes sortes de démonstrations propres à faire regretter leur vœu de chasteté aux cénobites les plus convaincus ! Dieu veillait : il frappa les impudentes de folie. Impressionné, Bwya, imité par tous les siens, se convertit. Une autre version propose un dénouement moins « happy end » : Bwya fut abattu (comment ? par qui ?) et sa forteresse fut réduite en cendre.
L’histoire dit aussi que Dubric, estimant n’avoir plus rien à apprendre à Telo en matière d’exégèse (compréhension et interprétation) des textes sacrés, le nomma évêque de Llandaf à sa place et se retira à Caerleon.
Telo fonda son propre monastère, Llandelo Fawr (Landelo Meur en breton d’aujourd’hui, c'est-à-dire le Grand Llandelo). Il fonda également d’autres communautés où se rassemblèrent des populations qu’il administra tant temporellement que spirituellement : Llandelo Talybont (Landelo Tal ar Bont  en breton d’aujourd’hui, Landelo en face du Pont), Llandelo Vach, ou encore Llandelo Vichan (Landelo vihan, le Petit Landelo).
Vers les années 540, une terrible épidémie de peste jaune frappa le pays. Dans son « Livre d’Or des Saints de Bretagne », Joseph Chardonnet cite l’une de ses sources qui en parle ainsi : « … la peste jaune, ou la jaunisse empestée parce que tous ceux qui en étaient frappés mourraient teints de cette couleur. Une nuée fort basse, et qui semblait presque traîner sur terre, comme un brouillard épais et puant, l’engendre dans le pays. Les hommes et les bestiaux en étaient également saisis et tous ceux qu’elle atteignait en mourraient infailliblement ». Description terrible et surprenante par le côté un peu surréaliste de certains détails (« … une nuée fort basse, et qui semblait trainer par terre, comme un brouillard épais et puant » !). Cette peste jaune est-elle une réelle épidémie ou n’est-elle qu’une sorte d’allégorie à l’envers, la représentation symbolique d’un autre fléau qu’au fil des siècles il serait devenu politiquement incorrect d’appeler par son nom ? (On pense bien sûr aux envahisseurs angles et saxons !). Ou bien est-ce un peu des deux ?
Après avoir pendant longtemps essayé de faire face sur place au fléau, Telo, en bon pasteur soucieux de sauver la vie de ceux dont il avait la charge, quitta le pays à la tête de ses ouailles (les résidents de ses monastères ? toute la population des territoires sur lesquels il exerçait ses pouvoirs temporel et spirituel ?) pour aller se réfugier en (Petite) Bretagne. Ce pays, partie armoricaine de la Gaule, de l’autre côté de la Mer, avait en effet été repeuplé assez massivement depuis le début du Vème par certaines populations du Sud, du Sud-Est et de l’Est de l’Ile de Bretagne lassées de disputer leurs territoires aux envahisseurs angles et saxons qui, bien que repoussés à plusieurs reprises et battus lors de quelques batailles aussi célèbres que meurtrières pour les vaincus (la Bataille du Mont Bath par exemple) n’en finissaient pas de se renouveler au fil des vagues de débarquements successifs…
Telo et les siens entreprirent donc un long voyage terrestre le long de la côte sud du Pays de Galles actuel, puis descendirent vers le Sud en traversant la Domnonée insulaire (aujourd’hui le Devon). Ils y sont accueillis avec hospitalité par le roi Gerren (ou Gereint, un autre personnage quasi-mythique, héros d’un conte des « Trois romances galloises », généralement associées aux Mabinogion). Telo et Gerren sympathisent et passent de longs moments ensemble à deviser, sur la religion disent la plupart des sources. Il n’est pas interdit de penser qu’entre un roi administrant un royaume, et devant le défendre en ces temps périlleux, et un évêque conduisant vers l’exil toute une population d’un royaume voisin, les sujets de conversation ne se soient pas limités à la religion... La légende dit que Gerren demanda à Telo de l’entendre en confession. Au moment de l’absolution, Telo promit à Gerren qu’il ne mourrait pas avant d’avoir reçu le sacrement de l’eucharistie de sa propre main.
Puis il reprit la route à la tête des siens et traversa la mer (« Mor Breizh », la Mer de Bretagne, plus couramment appelée aujourd’hui la Manche) pour débarquer sur la côte nord de la (Petite) Bretagne où il retrouva son vieil ami Samson, devenu Evêque de Dol. Toutes les sources, historiques ou légendaires font état d’un excellent accueil des « nouveaux » migrants bretons par les « anciens » migrants bretons installés là depuis un siècle et plus.
Les légendes nous disent beaucoup de choses sur le séjour de Telo en (Petite) Bretagne. Nous savons qu’il a duré 7 ans (certains y ajoutent 7 mois !) et que Telo n’est pas resté inactif.
On lui prête l’introduction du pommier en (Petite) Bretagne. Avec son ami Samson, il aurait planté un verger (la légende dit une « forêt » de pommiers), pendant longtemps appelé « le Verger de St Telo », entre la ville de Dol et la Fontaine de Cai, une source qu’il aurait fait jaillir dans les proches environs de la ville, en un lieu dont le nom est aujourd’hui Carfantin (nom de lieu bien proche de notre Kerfeunteun local) et constitue un lieu dit de la ville de Dol. La légende prête à cette fontaine des vertus météorologiques (comme celle de Baranton dans la forêt de Paimpont, mais en plus positif, car la fontaine de Baranton semble n’avoir provoqué que des orages !) : les marins, avant de partir en mer, avaient coutume de venir nettoyer l’eau pour obtenir un vent et une mer favorables.
A en juger par le nombre impressionnant de lieux où une fontaine, une chapelle, un arbre, une trève ou frérie, un village, une commune, une église porte son nom, on peut conclure que soit sa renommée a été immense sur tout le territoire de la (Petite) Bretagne, soit il l’a arpenté de long en large en laissant un peu partout des souvenirs de son passage. Il est l’éponyme de Plédéliac (anciennement « Plou-Teliau », à côté de Lamballe, de Saint Thelo au nord de Loudéac, de Montertelot (« Mouster Telo », « Mouster » signifiant « monastère ») au sud de Ploërmel, et bien sûr de Landeleau entre Carhaix-Plouguer et Châteauneuf du Faou. Les trèves ou fréries de St Telo se trouvent encore aujourd’hui tant en Haute qu’en Basse Bretagne, comme à Plogoneg. Pas loin d’ici, à Plozevet, une fontaine porte aussi son nom. Il est le Saint Patron de l’Eglise de Leuhan. Joseph Chardonnet, à partir de l’orthographe du nom donné à un dolmen sur la commune de Landeleau (« Ti Sant Heleau »), se demande si le nom de la commune d’Hellean, située à l’Est de Josselin, et dont le Saint patron est Samson (qui est parfois confondu avec Telo) n’est pas une forme dérivée de « Eilud », forme primitive de Telo. (« Telo » serait en fait une forme hypocoristique, c'est-à-dire « qui exprime une intention affectueuse ou valorisante ». Elle dériverait de « To-Eliud », signifiant « oint, béni, ou consacré par Dieu »).
Il est par ailleurs vraisemblable qu’une confusion paronymique fait aujourd’hui, en Bretagne, appeler Saint Eloy une multitude de lieux initialement appelés Saint Telo, sous une orthographe ou une autre. (C’est d’ailleurs le cas à Plogonec où le village qui aujourd’hui est appelé St Telo (orthographié Saint Théleau) se trouve orthographié sur la carte d’assemblage cadastral « Saint Eloy » !)
En effet, si la façon d’honorer les deux saints a quelque chose en commun (la bénédiction des chevaux), le culte à St Telo possède en plus la bénédiction de la fontaine, caractéristique que l’hagiographie (la science de la vie des saints) semble ne pas prêter à Saint Eloi ou Eloy. Il n’est pas déraisonnable de penser que, partout où en Bretagne se trouve associée la bénédiction des chevaux à la bénédiction d’une fontaine, on se trouve face à un culte dédié à Saint Telo et non à Saint Eloi. L’origine de cette association des chevaux à Telo sera évoquée plus loin.
La plus importante légende courant sur le séjour de Telo en (Petite) Bretagne est bien sûr celle qui narre la fondation de Landeleau (Landelo), lorsque Telo décida d’implanter, en pleine campagne près de la rivière de l’Aulne, un centre pour ses disciples. Arrivé à cet endroit, Telo aurait commencé par élire domicile dans un dolmen dont les restes, trois piliers de schiste et une dalle de couverture sculptée de cinq cupules, sont encore visibles près du village de Lanloc’h. (En archéologie, on appelle « cupules » de petits creux circulaires faits par l’homme, surtout l’homme préhistorique, à la surface d’une dalle ou d’un rocher). Ce dolmen porte donc aujourd’hui le nom de « Ti Sant Telo » orthographié « Ti Sant Heleau ». Les cinq cupules sur la dalle de couverture passent pour être l’empreinte des cinq doigts de la main de Telo. (On verra plus loin que ce n’est pas le seul exemple où Telo aurait imprimé le minéral d’une partie de son corps). Vite excédé par les coassements incessants des grenouilles voisines (de qui ou de quoi ces batraciens peuvent-ils être la représentation métaphorique ?), il renonça à cette résidence et décida d’aller s’implanter (habitation et lieu de culte) ailleurs, plus au sud, près d’une fontaine, dont la légende ne dit pas si c’est lui qui en fit jaillir la source. Il négocia avec le seigneur local ( ?), le seigneur de Kastell Gal, l’obtention d’un territoire sur lequel il pourrait implanter son établissement et exercer son autorité. Ce dernier lui proposa de prendre toutes les terres dont il pourrait faire le tour en une nuit, c'est-à-dire entre le coucher du soleil et le chant du coq le lendemain matin. La nuit venue, Telo se mit au travail. Il fut aidé par un cerf qu’il chevauchait. (C’est ici la version bretonne – petite bretonne – de l’association de Telo à cet animal totémique). Au rythme du galop de l’animal sur le dos duquel il était monté, Telo commença à délimiter un territoire de belle taille. Réalisant que le marché conclu tournait au marché de dupe pour lui, le Seigneur de Kastell Gal fit lâcher ses chiens lors du passage de Telo près de sa demeure. Le cerf s’enfuit dans la forêt voisine et Telo se réfugia dans un chêne (le chêne de St Telo !). Sans doute lassée ne n’avoir rien à se mettre sous la dent, la meute finit par rentrer au chenil et Telo décida alors de reprendre sa course. C’est ici que la légende prête un bien étrange rôle à la sœur de Telo : Anaufed (à prononcer « Anauved », le « f » en gallois se prononçant « v »). Celle-ci n’était rien moins que l’épouse de Budic, le roi de Cornouaille. Rien de plus normal qu’une fois débarqué en (Petite) Bretagne, Telo ait pris contact avec elle. Ce qui peut surprendre, c’est que la légende dit qu’elle est venue tenir le ménage de son frère. La légende en fait en quelque sorte la « karabasen » de Telo. Les sentiments qui lui sont prêtés surprennent encore plus : la légende dit que, par jalousie et voyant que Telo reprenait sa course, elle entreprit de l’écourter en faisant chanter un coq avant le lever du jour (en fourrant la pauvre bête dans le conduit de la cheminée avant d’allumer le feu ; son « chant » ne fut pas interprété pour ce qu’il était, c'est-à-dire une vigoureuse protestation contre le traitement qu’on lui infligeait, mais comme le traditionnel salut du volatile aux premières lueurs de l’aube, ce qui stoppa net la marche de Telo).
Nous sommes ici très certainement au croisement de plusieurs légendes, dont cette catégorie de légendes qui opposent à un quelconque saint un personnage féminin, soit hostile à son prosélytisme religieux (dans le cas de Keben et de St Ronan, à Locronan), soit jaloux de son succès (c’est le cas de Anaufed et de St Telo, son frère, à Landeleau, et celui de Jenovefa et de St Edern, son frère, à Lannedern). A noter que Telo partage avec Edern le mythe de la délimitation d’un territoire par circumambulation à dos de cerf, et que dans les deux cas celle-ci est prématurément interrompue par l’intervention de la sœur qui fait chanter un coq avant l’heure.
Toujours à propos de Telo à Landeleau, la légende dit encore que, par esprit de pénitence, il couchait dans un sarcophage de pierre dit « gwele Sant Telo » (le lit de St Telo). Il s’agit d’un bloc de granite blanc de Locuon qui servit de pièce d’architrave pour un temple romain, et qui fut creusé au Moyen Age pour en faire un sarcophage. Ce sarcophage se trouvait dans la chapelle de St Maudez. A la démolition de celle-ci, il a été transféré dans l’église paroissiale.
(La marque de Telo à Plogoneg est à la fois importante et discrète. Discrète parce que, s’il fait l’objet d’un pardon annuel remis à l’honneur depuis deux bonnes dizaines d’années, son culte reste modeste et n’attire pas au-delà des limites de la commune. La prégnance de son souvenir va-t-elle faiblissant ? Il y a une dizaine d’année, un établissement commercial, situé rue de St Telo et portant ce nom, a été débaptisé sans provoquer grande émotion dans le bourg… Cette prégnance fut, et peut-être reste, pourtant importante si l’on met bout à bout tout ce qui évoque peu ou prou ce personnage. La chapelle est l’un des plus beaux monuments architecturaux de la commune ; tombé en désuétude pendant longtemps, son pardon annuel a été réhabilité et mobilise tous les ans une équipe nombreuse de bénévoles ; on trouve un cantique à St Telo, une chanson de libation dont le refrain vient rappeler le rapport de Telo à la pomme et au cidre ; Telo occupe également une place importante dans une chanson composée vers la fin du XIXème siècle par un barde local et consacrée au passage de la Duchesse Anne à Plogoneg ; on peut parler d’une sorte de présence, discrète mais permanente, du personnage dans le paysage « mémorial » de la commune et des environs -Guengat, Locronan, Quéménéven.
Mais on ne relève aucune trace d’un passage ou d’un séjour quelconque de Telo sur le versant sud de la montagne de Locronan… si ce n’est l’ombre d’une légende attachée à un mégalithe situé au sud de la commune, à la limite de Plogoneg et de Guengat. Collectée auprès des habitants du village proche, Guénorvan, par Joël Hascoët, elle raconte que Telo l’aurait moulée aux formes de son corps en sautant dessus (autre exemple où Telo imprime le minéral de son anatomie). Une autre tradition prête à ce bloc de granite le nom de « Kador Sant Telo » (la chaise de St Telo), ajoutant que, sur un territoire qu’il aurait eu sur le flanc de la montagne, autour de l’endroit de l’actuelle chapelle, Telo avait coutume de faire une marche quotidienne, et qu’il marquait une pause en se reposant assis sur ce mégalithe d’où il pouvait apercevoir son ermitage.
Il resterait à faire un travail de collectage systématique de tous ces petits élément légendaires épars partout où est évoqué le nom de Telo pour se faire une représentation plus complète du souvenir qu’il a laissé dans la mémoire populaire de (Petite) Bretagne).
Du séjour en (Petite) Bretagne de Telo, la légende rapporte aussi qu’il y tua un dragon, sur la demande instante de son beau-frère Budic, roi de Cornouaille. La plupart des versions situent cet épisode vers la fin de son séjour, alors qu’il avait déjà annoncé son intention de s’en retourner au Pays de Galles sur l’Ile de(Grande) Bretagne, et il est évident que cette requête adressée à Telo fait partie de l’argumentaire développé par les uns et les autres pour le retenir. Le dragon, en Grande comme en Petite Bretagne, est un animal omniprésent dans le bestiaire fabuleux.
Au Pays de Galles, la légende du dragon blanc et du dragon rouge, attachée à la personne de Vortigern, est le principal mythe fondateur de la conscience nationale galloise. La voici résumée en peu de mots. Vortigern, élu par ses pairs président du Conseil des différents royaumes de l’Ile de Bretagne nés sur les ruines laissées par l’Empire Romain, avait décidé de faire appel à des étrangers  (les Angles et les Saxons) pour lutter contre les Pictes, ces Bretons du Nord que les Romains avaient renoncé à conquérir et avaient « enfermés » derrière le Mur d’Hadrien, et qui franchissaient désormais allègrement cette fortification dégarnie de ses défenseurs (les légions romaines étant parties en Gaule). Ce fut l’erreur fatale pour le sort futur de la (Grande) Bretagne et des Bretons (et aussi pour la renommée de Vortigern aux yeux de la postérité)… D’alliés rémunérés (c'est-à-dire mercenaires), certains devinrent vite des ennemis implacables et insatiables dans leur soif de richesses et de territoires ! Pour lutter ensuite contre eux, Vortigern reproduisit la même erreur : faire appel à d’autres forces étrangères. De nouveaux arrivages en nouveaux arrivages, la situation devint vite très claire et les clivages bien tranchés : d’un côté les insulaires, c'est-à-dire les Bretons, de l’autre les envahisseurs de tout poil massivement accourus. Toute cette partie de l’Histoire (ce que les historiens appellent l’ « âge sombre de la Bretagne ») s’est subtilement réécrite, au fil des générations et des siècles, sous la forme de l’allégorie des deux dragons. Celle-ci présente Vortigern voulant se faire construire une forteresse imprenable. Nous pouvons aisément comprendre : un royaume de (Grande) Bretagne fort et résistant aux assauts de l’extérieur. Mais les travaux n’avançaient pas car, à peine les fortifications avaient-elles atteint une certaine hauteur qu’elles s’écroulaient systématiquement. Après avoir en vain changé plusieurs fois de maître d’œuvre, Vortigern finit par faire appel à Merlin qui ordonna de creuser à l’endroit où les travaux réalisés s’écroulaient. Ils trouvèrent un lac souterrain au fond duquel deux dragons, un rouge et un blanc, se livraient un combat sans merci. Merlin révéla à Vortigern le sens de ce qu’il voyait (c’est l’interprétation de l’allégorie) : « il ne pourra jamais construire sa citadelle,(c'est-à-dire son royaume de (Grande) Bretagne), parce que la fureur du combat des deux dragons (c'est-à-dire des deux partis désormais irrémédiablement opposés : les Saxons et autres envahisseurs, représentés par le dragon blanc, et les Bretons, représentés par le dragon rouge) en ébranle les fondations et en ruine l’édification ». Il n’y aura en effet jamais de royaume réunissant tous les Bretons sur une (Ile de Grande) Bretagne unifiée sous l’autorité d’un seul monarque. Les Saxons vont sans cesse accroître leur puissance et leurs territoires. Le dragon rouge est devenu l’emblème des Bretons résistant contre l’envahisseur, défendant leur terre pied à pied. Ces Bretons ont été appelés progressivement « Welshes » (Gallois) par les Saxons. Leur drapeau porte haut et fier le symbole de cette résistance : le Dragon Rouge.
Pour en revenir à Telo, la vraie question est de savoir de quoi ou de qui le dragon occis par ses soins est la représentation allégorique. Il est trop facile de se contenter de dire qu’il s’agit de Satan. Certains avancent que ce dragon serait le symbole de Conomor, personnage important dans l’histoire primitive de la (Petite) Bretagne et à qui la postérité a accolé une réputation épouvantable : une sorte de Barbe Bleue trucidant systématiquement ses épouses successives dès qu’elles attendaient un enfant. En fait, son principal crime aux yeux de certains, les partisans des Francs, aurait été d’avoir voulu, deux siècles avant Nominoë, créer un royaume breton unifié puissant, totalement indépendant des voisins francs, dont les prétentions à contrôler le territoire armoricain repeuplé par les migrants bretons avaient reçu l’assentiment du pape et de l’Eglise catholique romaine (le baptême de Clovis était passé par là !). Un tel projet n’était bien évidemment pas, on s’en doute, du goût de Childebert, l’un des fils de Clovis dont, avec ses trois frères, il s’était partagé le royaume.
(Clovis portait le titre de roi des Francs et régnait sur un territoire qu’il s’était forgé, d’alliances diverses en assassinats et conquêtes militaires, et qui couvrait un territoire correspondant à une partie de l’actuelle Belgique, au-delà du Rhin à une partie de l’actuelle Allemagne, et à une partie du territoire de l’actuel Etat français, jusqu’aux Pyrénées, à l’exception des régions méditerranéennes et de l’actuelle (Petite) Bretagne. Childebert « héritera » du « Royaume de Paris (un territoire couvrant, outre cette ville sur sa périphérie nord-est, l’actuelle Normandie, le Maine et, au sud de la Loire, le Bordelais). A la mort de son frère Clodomir (roi d’Orléans, sur un territoire d’une seule pièce, de part et d’autre de la Loire), il s’arrangera avec un autre de ses frères, Clotaire (roi de Soissons, puis, à partir de 558, roi des Francs, comme Clovis son père, après que tous ses frères et leurs héritiers aient disparu) pour assassiner les fils de Clodomir et se partager son royaume. Animé d’un esprit expansionniste capable de le pousser à de tels forfaits, Childebert, lorgnait forcément sur le territoire voisin, la (Petite) Bretagne, et ne pouvait que voir d’un mauvais œil un projet tel que celui de Conomor).
Conomor… L’Histoire, ou la légende, dit que, pour commencer à concrétiser son projet, Conomor fit assassiner Iona, roi de Domnonée (uniquement roi de la Domnonée de Petite Bretagne puisque celui de la Domnonée insulaire était, à cette époque, Gerren) pour épouser sa veuve et s’emparer de son trône au détriment du fils de ce dernier, Judikaël, ou Judwal. Samson prit aussitôt le parti de l’orphelin spolié, ce qui ne peut que paraître tout à fait normal pour un homme imprégné des valeurs du christianisme. En fait, il est difficile de dire de quelle nature furent ses motivations profondes. Etait-il réellement révolté par le cynisme du forfait de Conomor ? Etait-il opposé au projet politique de Conomor ? Etait-il plus simplement inspiré par le désir de se ménager la sympathie du monarque (c'est-à-dire celui qui détenant le pouvoir temporel) du territoire où se trouvait l’autorité de tutelle (l’archevêque métropolitain de Tours) dont en principe son évêché aurait dû dépendre, mais dont il ne reconnaissant pas l’autorité ? (Il en était de même pour ses collègues l’évêque de Vannes et celui de Quimper).
Pour comprendre l’organisation de l’Eglise catholique de l’époque, il faut se rappeler que celle-ci se construisait dans le creuset de l’Empire Romain et calquait son administration, son organisation territoriale, sur le modèle impérial. Dans ce contexte, la péninsule armoricaine des premiers siècles (celle d’avant les migrations bretonnes) dépendait de la Métropole de Tours. C’est donc tout naturellement que, au fil de l’expansion du Christianisme sur la Gaule, Tours s’est retrouvée « Métropole Episcopale » de tout l’ouest du territoire. L’évêque métropolitain de Tours exerçait donc son autorité sur les évêchés de Nantes et Rennes, les seuls à avoir existé sur la péninsule armoricaine aux premiers temps du Christianisme, tant il est vrai que la faible densité de la population sur le reste du territoire de cette péninsule ne justifiait pas la création d’évêchés plus à l’Ouest. Mais à partir du Vème siècle, avec l’arrivée massive des migrants bretons, la situation de la péninsule armoricaine, qui allait dès lors devenir la Petite Bretagne, allait changer du tout au tout. Les migrants bretons avaient plus de relations avec leur pays d’origine, l’Île de Bretagne, qu’avec les royaumes francs de l’Est. L’administration et le développement du Christianisme en (Petite) Bretagne ne se sont pas faits à partir des évêchés de Nantes et Rennes, dépendant de l’Eglise Catholique de Gaule (de la Métropole de Tours), mais à partir des évêchés, monastères et abbayes de la (Grande ) Bretagne où, sous la poussée des envahisseurs angles et saxons, qui n’étaient pas christianisés, l’influence de l’Eglise Catholique (celtique) se limitait à l’Ouest : la Domnonée (aujourd’hui le Devon et la Cornouaille) et la Cambrie (aujourd’hui le Pays de Galles). C’est de la (Grande) Bretagne que venaient les cadres religieux des populations de (Petite) Bretagne qui ne devaient pas encore être suffisamment structurées pour produire en nombre suffisant leur propre clergé. C’est là l’explication de la présence de tous ces saints dits « gallois » dans le paysage hagiographique breton d’aujourd’hui. Et les nouveaux évêchés de Dol, Quimper, Vannes, St Malo, St Pol de Léon entretenaient donc davantage de relations avec l’évêché ou l’abbaye d’origine de son évêque sur l’Île de Bretagne qu’avec l’Archevêché de Tours…
Toujours est-il que c’est sous la protection de Childebert que Samson plaça le jeune Judwal orphelin. C’est l’aide de Childebert que Samson sollicita pour rétablir son protégé sur le trône de son père. Il y parvint. Judwal, avec l’aide de son « tuteur » Childebert, battit Conomor et devint roi de la Domnonée de (Petite) Bretagne… mais un roi sous influence franque, un quasi-vassal !
Au nombre des différents épisodes de l’offensive généralisée orchestrée contre Conomor avant la bataille finale qui donna la victoire à Judwal, il faut noter l’anathème (c'est-à-dire l’excommunication) jetée contre Conomor par un synode des évêques bretons réunis au sommet du Menez Bre, au prétexte qu’il aurait assassiné systématiquement toutes ses épouses, dont l’une fut Tréphine, la fille de Waroc, le roi du Vannetais. Cet anathème n’avait pour but que de discréditer, aux yeux de ses sujets et des autres souverains des deux Bretagnes, non seulement Conomor mais aussi certainement son projet politique, de l’isoler, de le couper de toute alliance possible.
Aucune allusion n’est faite, nulle part, d’une éventuelle participation de Telo à ce synode « anathémiseur » dont on sait qu’il a été présidé par Hervé (St Hervé). Il y a donc peu de chance que l’épisode du dragon soit l’allégorie d’un rôle d’une quelconque importance qu’aurait joué Telo dans l’éradication de Conomor du paysage politique de la (Petite) Bretagne.
En revanche, l’évocation de cet épisode, qui se situerait vers la fin du séjour de Telo en (Petite) Bretagne, amène à se poser la question des raisons réelles qui ont motivé son retour en (Grande) Bretagne. Toutes les versions de la vie de Telo disent que c’est parce que l’épidémie de peste jaune s’était éteinte. Raison plausible, bien sûr ! (Mais qui n’a pas vraiment de sens tant qu’aucune réponse n’aura été apportée à la question de savoir si cette peste jaune était réellement une épidémie ou si elle n’est que la représentation allégorique d’un autre fléau). Mais, dans un contexte historique où la tendance générale est à la migration de la Grande Bretagne vers cette terre qui est devenue la Petite Bretagne, comment interpréter ce retour ? Pourquoi repartir avec tous ceux avec qui il était venu, et peut-être même d’autres dont ses neveux, les enfants de son beau-frère le roi Budic et de sa sœur Anaufed, alors que l’accueil avait été des plus chaleureux et qu’il avait trouvé sur place de la famille proche et son ami Samson ? Et ce ne sont pas là des retrouvailles de peu, mais avec des gens occupant les fonctions les plus importantes dans la société d’alors ! Pourquoi repartir alors que, en créant Landelo (Landeleau) et autres lieux (Montertelot, Plédéliac, c'est-à-dire Plou-Telo), il avait recommencé ici avec succès ce qu’il avait dû abandonner là-bas ? Pourquoi repartir alors que sa renommée et son influence avaient déjà atteint des sommets ? Et surtout, pourquoi repartir alors que tout le monde le pressait instamment de rester, lui faisant miroiter toutes sortes d’honneurs et avantages ? On peut y voir la manifestation d’un amour profond pour sa terre natale. On peut y voir aussi une certaine forme d’anticonformisme et de refus des honneurs. En effet les grands hommes de ces âges troublés, dont beaucoup ont été gratifiés du titre de saint par la postérité admirative ou reconnaissante, étaient forcément des hommes à la personnalité forte et au caractère trempé, des hommes dont la ligne de conduite n’était dictée que par les valeurs qui les animaient et certainement pas par le conformisme. Alors pourquoi ce retour vers un pays dont l’avenir, sous la pression constante des envahisseurs angles et saxons, semblait certainement beaucoup plus sombre que celui de cette espèce de « terre promise » que devait être aux yeux de beaucoup la péninsule armoricaine devenue une nouvelle Bretagne ?
On peut penser que le comportement de Samson, « flirtant avec le diable » (c'est-à-dire faisant alliance avec un étranger hostile, dont les mœurs et le comportement étaient tout aussi peu recommandables que les mœurs et le comportement du compatriote, Conomor, qu’il voulait contrer) avait dû inquiéter, voire irriter Telo. Y a-t-il vu comme le prélude à la répétition de l’énorme erreur commise par Vortigern s’alliant lui aussi « avec le diable », le saxon étranger, pour régler un problème interne à la (Grande) Bretagne ?
Faut-il donc voir dans ce retour vers la (Grande) Bretagne une sorte de désaveu du patriote Telo face à un Samson qu’il jugeait peut-être un peu trop enclin à collaborer avec le voisin franc, aux visées peu amènes vis-à-vis de la (Petite) Bretagne, même pour des motivations tout à fait justifiables telles que la défense de l’orphelin ou la lutte contre le déni cynique des droits les plus élémentaires ?
C’est en effet pour aller rencontrer Childebert que Samson a demandé à Telo de le remplacer. La première réponse de Telo a été de refuser tout net, et d’annoncer qu’il était sur le départ… Malgré l’insistance de Samson, à la requête de qui se joignaient les voix de sa famille (son beau frère Budic et sa sœur Anaufed), Telo a persisté dans son refus et sa volonté de repartir. On peut imaginer les arguments déployés par les uns et les autres pour tenter de le retenir… Certains frisent même la prévarication : on lui promet un magnifique cheval en cadeau s’il accepte d’assumer l’intérim de Samson ; celui-ci va même jusqu’à lui proposer de démissionner pour lui laisser définitivement la charge d’évêque de Dol. Telo est resté inflexible… jusqu’à ce qu’une nuit un ange lui apparût en songe pour lui indiquer quelle était la volonté divine. Il lui demanda d’accepter la charge d’évêque de Dol, mais uniquement à titre provisoire, pendant l’absence de Samson ; il lui demanda aussi, comme pour ne laisser planer aucun doute sur les motivations qui le poussaient à accepter, de refuser le cheval qu’on lui proposait en cadeau ; enfin, il lui annonça que Dieu, pour marquer qu’il approuvait sa conduite, lui offrirait lui-même, durant la cérémonie d’intronisation sur le siège épiscopal de Samson, un cheval bien plus exceptionnel encore que celui qu’on lui proposait.
Les choses se déroulèrent ainsi. Durant la cérémonie, un magnifique cheval apparut. Il servit de monture à Telo durant toute la durée de son intérim sur le siège épiscopal de Samson. Au retour de celui-ci, Telo se mit pour de bon à préparer son départ.
Au moment de quitter la (Petite) Bretagne, Telo offrit à son beau-frère (le roi Budic), et par son intermédiaire à tous les Bretons de (Petite) Bretagne, le cheval dont Dieu lui avait fait don, faisant de ce cadeau le gage du vœu qu’il formulait auprès de Dieu que les Bretons armoricains (c'est-à-dire de Petite Bretagne) deviennent des cavaliers émérites et excellent, parmi les autres nations, dans l’art de la cavalerie pour défendre leur patrie et leur foi. C’est sûrement sur cette anecdote qu’est fondée l’association de Telo au cheval, moins connue ici que celle de Telo au cerf. Ce qui est remarquable dans cette légende, c’est que la formulation de ce vœu patriotique de Telo se fait sur un symbole fort : le don du cheval divin, le don du gage que Dieu lui-même lui avait offert pour lui signifier qu’il approuvait sa décision de ne pas rester dans une (Petite) Bretagne dont l’un des principaux guides spirituels (Samson) se commettait avec l’ennemi…
Et Telo est reparti avec les siens (et peut-être d’autres !). L’Histoire dit que, sur la route du retour, son navire, ou sa flotte, croisa le navire d’un émissaire de son ami Gerren, le roi de la Domnonée insulaire (le Devon actuel), qui se mourrait et le priait de le rejoindre au plus tôt pour l’assister dans ses dernières heures et tenir la promesse faite lors de son voyage à l’aller : lui donner le sacrement de l’eucharistie. Telo et les siens, et l’émissaire de Gerren, cinglèrent donc de concert vers les côtes de la Domnonée et arrivèrent à temps pour assister Gerren dans ses derniers instants.
Telo poursuivit ensuite sa route vers la Cambrie (le Pays de Galles actuel). Il y retrouva son ami Dewi, son évêché de Llandaf, et renoua avec son rôle de guide spirituel des grands et des humbles, des rois et de leurs sujets. Il est difficile de dresser une rubrique chronologique de la vie de Telo après son retour en (Grande) Bretagne, mais il est possible de citer quelques anecdotes plus ou moins marquantes, survenues ici et là au fil de son existence et qui attestent que ce guide spirituel ne restait pas la tête perdue dans les nuages de la méditation mystique mais savait se préoccuper aussi du temporel, des grands et des petits problèmes du quotidien…
On raconte qu’il fit jaillir de nombreuses sources pour pourvoir aux besoins de ses contemporains, et on dit que l’eau de ces sources avait toujours soit quelque propriété merveilleuse, soit un goût particulièrement agréable.
On peut citer cette anecdote un peu étonnante, sinon amusante, mais en tout cas édifiante parce qu’elle est révélatrice du soin que Telo savait prendre des choses les plus banalement quotidiennes, voire triviales, de l’existence de ses contemporains. Aircol Lawhir, roi du Dyfed (territoire correspondant aux actuels comtés du Pembrokeshire et du Carmarthenshire), avait quelques soucis avec ses serviteurs, des soucis qui perturbaient gravement le fonctionnement de sa cour et de son royaume : ses serviteurs, à chaque repas ( !) s’enivraient et ensuite se battaient entre eux, parfois jusqu’à la mort ! Pour en finir avec ce dont il ne savait trop s’il s’agissait d’une fatalité qu’il fallait conjurer ou tout simplement d’un fâcheux défaut qu’il convenait de corriger au plus vite, il fit mander Telo. Celui-ci répondit à l’appel du roi et se rendit à la cour en compagnie de deux de ses disciples, Llywel et Fidelis. Il est rapporté que Telo donna pour consigne à ses deux disciples de servir la boisson au cours du repas à la demande de chacun, sans laisser les serviteurs se servir eux-mêmes à volonté. La présence de Telo, le rayonnement de sa force de caractère durent faire le reste : les serviteurs renoncèrent à leurs excès. En remerciement d’avoir guéri ses serviteurs de leur ivrognerie meurtrière, Aircol fit don de terres à l’évêché de Llandaf.
Une autre fois, Idon, roi du Gwent (région du sud-est du Pays de Galles actuel, riveraine de l’Angleterre dont elle est séparée par la rivière Wye et l’estuaire de la rivière Severn) implora l’aide de Telo car son royaume subissait une attaque des envahisseurs saxons. Telo se précipita à son secours. Monté sur le sommet de la montagne de Cressinic, Telo étendit les bras et supplia Dieu de donner la victoire aux Bretons contre les envahisseurs païens. L’armée d’Idon sortit vainqueur de la bataille et repoussa les Saxons au travers de la rivière Wye. En remerciement, Idon fit également don à Telo de terres, aujourd’hui Llandeilo-Cressinic.
Telo ne limitait pas ses foudres aux seuls envahisseurs étrangers ennemis de son peuple. Il savait aussi frapper de toute la puissance que lui donnait son pouvoir spirituel tous ceux qui, compatriotes ou pas, détruisaient ou profanaient ce sur quoi il reconstruisait une identité, un avenir et un destin pour les Bretons. Guaidan, ou Gwaeddan, l’apprit à ses dépens, lui qui, ayant profané le sanctuaire de Llandeilo Bichan, ou Llandeilo Bach, fut frappé de mort subite sur les lieux mêmes de son forfait.
Sa vie durant, Telo eut de nombreux disciples, ce qui est dans l’ordre des choses pour un chef spirituel. Ce qui est peut-être le plus surprenant, pour peu que l’on oublie la dimension temporelle du pouvoir que des guides spirituels comme Telo pouvaient avoir en ces temps troublés et incertains, c’est qu’il apparait que Telo ait entretenu des bardes. Le nom de deux d’entre eux, à qui la postérité a aussi accordé le titre de saint, est parvenu jusqu’à nous : Gwrhir et Ystiffian. Quelques écrits, prêtés à ce dernier ou tenus à son sujet, nous sont connus :
« Quelle est la plus grande folie de l’homme ? Désirer être un démon sans en avoir le pouvoir ».
Ce qui semble avoir été dit en écho à une sentence attribuée à Telo :
« Quelle est la plus grande sagesse de l’homme ? Avoir le pouvoir d’être un démon et ne pas l’exercer ».
On possède aussi un écrit à son sujet :
« As-tu entendu ce qu’a dit Ystiffian, la réponse toute faite du barde de St Telo ? L’homme convoite, mais Dieu répartit ».
On sait encore que, à la mort de son ami Dewi, Telo lui succéda temporairement à la tête de l’évêché de Mynyw (aujourd’hui St David’s) avant de nommer sur ce siège son neveu Ysfael, fils de sa sœur Anaufed et de son beau-frère Budic, qui l’avait suivi lors de son départ de (Petite) Bretagne.
On situe la mort de Telo vers la fin des années 560 (566 disent certaines sources), dans son Abbaye de Llandeilo Fawr (Landelo Meur, le Grand Landelo). Il était alors toujours à la tête de l’évêché de Llandaf et des différents établissements qu’il avait pu fonder dans le Sud du pays et était devenu, particulièrement depuis la mort de son ami Dewi, le personnage le plus important de la Cambrie (le Pays de Galles).
Sa mort a encore été l’occasion de l’éclosion d’une merveilleuse et surprenante légende. Trois lieux se disputèrent sa dépouille mortelle : le lieu de sa naissance, Penalun (ou Penally), la Cathédrale de Llandaf dont il était le prélat, et Llandeilo Fawr où il mourut. La compétition était vive et la querelle risquait de s’envenimer… Les protagonistes décidèrent alors de s’accorder un peu de temps qu’ils consacrèrent à la réflexion, la méditation, la prière… ou au repos. Ce temps écoulé, leur surprise fut grande de trouver, non plus un cercueil, mais trois ! Par cette « triplication » de sa dépouille mortelle, Telo avait voulu mettre un terme à ce qui aurait pu diviser son peuple à une époque où l’unité était plus que jamais de mise pour la lutte pour la survie de ce qui restait des Bretons sur le sol de la (Grande) Bretagne ! C’est du moins l’une des interprétations que l’on peut donner à cette légende.

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